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Présentation et analyse d’un paysage sonore : la ville de Montréal

Par Jérôme Staub - Dernière modification 11/07/2012 06:30

Le géographe définit le paysage comme étant une portion de l’espace terrestre que l’oeil  peut embrasser d’un seul regard. Ce regard peut être celui de l’appareil photo à qui nous confions une partie de nos souvenirs de vacances. 

Ces photographies permettent de conduire des analyses visuelles des paysages qui sont présentés par les étudiants à l’occasion de Travaux Dirigés en Licence à l’Université de Haute Alsace. Or il s’avère qu’une des étudiantes, Célestine[1], est aveugle et ne peut donc conduire l’analyse comme ses camarades. C’est dans ce contexte que j’ai décidé de la faire travailler sur un paysage sonore en m’appuyant sur les TICE. L’objectif principal est de permettre à Célestine de mener l’analyse d’un paysage au même titre que ses camarades, mais en s’appuyant sur une composante autre que visuelle.

Il est important de comprendre que le paysage est un objet particulier de la géographie et que son analyse demande une certaine démarche. C’est en ce sens que le son peut avoir sa place en utilisant les tices. C’est comme cela que Célestine a analysé le paysage sonore de la ville de Montréal au Canada.

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Document 1 - Paysage de la ville de Montréal. Source : Brunet, 1992. Célestine qui est aveugle ne peut travailler ce paysage tel quel. C’est donc le paysage sonore qu’elle va analyser.

I. Le paysage en géographie : une approche dynamique.


1. Le paysage, reflet de systèmes

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Document 2 - Le paysage est la partie de l’espace résultant de l’interaction de deux systèmes. Il est perçu de façon subjective par l’observateur, ce dernier le représentant selon différents modes. Le son est une représentation au même titre que les images.

Le paysage que l’on peut prendre en photo et dont on conserve une image n’est en fait que la partie visible de l’interaction de deux systèmes. D’une part, le système Terre concerne toute la géographie physique avec la tectonique, la climatologie... et permet de comprendre la mise en place d’un espace donné et les dynamiques qui l’animent. D’autre part, le système Monde porte sur l’appropriation de l’espace par l’Homme et les différents aménagements qu’il est amené à réaliser en fonction des activités qu’il développe. Analyser un paysage revient donc à percevoir les deux systèmes séparément et à en proposer une organisation. Cette dernière étape consiste à expliquer comment certaines parties du paysage ont été mises en valeurs alors que d’autres ont été laissées de côté. L’approche peut être purement descriptive ou alors se faire à travers un filtre culturel, historique[2]... Lire et analyser un paysage se réduit bien souvent à interpréter une image, ce qui est réducteur car d’autres éléments interviennent.

2. Une perception multisensorielle

La vision est un élément de perception qui a tendance à nous happer et à nous faire négliger les autres sens. Or, tous les sens participent à la perception du paysage, que l’on s’en rende compte ou pas[3]. Par exemple, quand on se trouve face à une cascade[4], on observe un paysage. On le perçoit par la vue avec la chute d’eau, les rochers, la végétation... Mais en prêtant attention, on entend le bruit de l’eau qui chute, les cri des oiseaux... On a sur les lèvres le goût des embruns et on peut humer l’odeur des mousses et des plantes présentes. Enfin, on peut toucher l’eau. Un paysage est donc perçu par la vue, l’ouie, le goût, l’odorat et le toucher. Notons que dans le cadre des Tices, seuls les sens visuels et auditifs peuvent être pris en compte dans l’analyse d’un paysage. C’est cette double approche qui a été suivie dans le cadre de ce projet.

3. L’apport des TICE pour compléter l’analyse.

Les TICE trouvent donc ici une place de premier ordre en redonnant des images et du son. L’ordinateur de Célestine dispose d’une voix de synthèse. Certaines fonctions de sa machine sont ainsi retranscrites sous forme de mots et de courtes phrases qu’elle peut écouter dans son casque ce qui lui permet d’utiliser sa machine comme une personne voyante. Ensuite, vient s’ajouter un boîtier qui traduit en braille ce qu’elle écrit et lui permet de relire ses notes. Enfin, le réseau Internet permet très facilement d’accéder à des banques sonores, notamment sur les espaces urbains. L’ordinateur portable est donc un centre de traitement de l’information visuelle, retranscrite de façon sonore et tactile.

 II. Le son une composante du paysage

 

1. Distinction bruit et son.

Le son peut être abordé selon deux approches complémentaires. Dans la première, le son est une nuisance et on parle alors de bruit dont on mesure l’intensité en décibels. On peut cartographier ces volumes sonores et s’en protéger avec des murs, notamment le long des routes qui traversent les espaces urbains. La seconde approche du son se concentre sur le sens[5]. Cela repose sur le fait que le son est le reflet de la réalité. Par exemple, voir ou entendre un véhicule automobile sur un axe de transport est la même chose. On a alors deux perceptions différentes d’un même élément. Cela demande néanmoins un effort de concentration pour discriminer des sons parfois nombreux dans un même enregistrement. S’appuyer ainsi sur ces différents sons permet de percevoir et d’analyser l’espace urbain[6]. La question qui se pose alors est celle de la bonne distance à prendre pour percevoir et analyser un paysage sonore.

2. Trouver la bonne distance d’analyse du paysage

Un paysage est ce que l’oeil perçoit. Ainsi, en prenant du recul ou de la hauteur, l’espace perçu devient plus vaste mais perd également en précision. Pour le son il en est de même : en prenant du recul à partir d’un point donné, on peut percevoir davantage de sonorités différentes mais qui deviennent rapidement confuses car noyées dans un magma sonore et dont la puissance diminue rapidement avec la distance.

Face à cela, il est possible de percevoir la diversité de l’espace urbain en ne choisissant qu’un seul enregistrement sous la forme d’une traversée d’une partie de la ville. Dans une seule bande son nous retrouvons l’espace urbain dans sa diversité. Mais le problème se pose quant au choix du parcours auquel s’ajoute la durée de l’enregistrement qui peut atteindre facilement 20 minutes. L'approche étant sonore on ne peut alors prendre de notes et marquer ce que l’on entend. L’utilisation de ce type d’enregistrement est intéressant mais n’est ni facile ni pratique.

Au quotidien, la perception du son est ponctuelle car se fait à partir de l’endroit où l’on se trouve. Mais il faut multiplier les points d’écoute pour avoir une perception d’ensemble de l’espace urbain. C’est cette approche que j’ai choisi car elle permet de se concentrer sur un seul enregistrement à la fois en quelques endroits donnés. Cela me permet de travailler sur l’ensemble de l’espace urbain et d’en avoir une perception globale. Dans cette approche, le changement d’échelle est permanent entre le lieu très localisé de l’enregistrement et sa place dans le reste de la ville. Reste à trouver les sources sonores.

 

3. Trouver des sources exploitables

En effet, il faut disposer de suffisamment d’enregistrements sonores d’un espace urbain pour en percevoir la globalité et les différentes parties qui le composent. Cette diversité d’enregistrement est problématique. Aussi, avais je pensé construire moi même un paysage sonore en m’appuyant sur l’espace urbain de Mulhouse. Cette approche aurait eu l’intérêt de faire percevoir un espace parcouru et vécu par les étudiants mais de façon inhabituelle. Cela étant, la démarche est longue et demande un matériel que je n’avais pas.

Je me suis donc appuyé sur le site de la Carte sonographique[7] de Montréal[8] qui propose des enregistrements de différents endroits de la ville. Chaque enregistrement est géolocalisé de façon très précise. Le site propose même deux types d’enregistrements sonores. Les premiers sont des enregistrements ponctuels et fixes et les seconds des enregistrements le long d’un trajet, donc mobiles. Chaque enregistrement est accompagné d’une fiche qui apporte toute une série d‘informations complémentaires telles que la date, le type de micro.... Mais le site propose 290 enregistrements et il n’est pas question de tous les écouter. Il faut donc faire des choix pertinents.

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Document 3 - capture d’écran de la carte sonographique de Montréal. Les enregistrements sont géolocalisés sur Google Earth. On peu donc zoomer pour gagner en précision. A droite, les enregistrements sont classés selon différents critères, ce qui permet une autre approche dans la recherche.

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Document 4 - Capture d’écran d’une fiche d’enregistrement. On y trouve la localisation de l’enregistrement, les informations techniques, les autres enregistrements du même auteur et tout en bas, les enregistrements proches de ce lieu.

III. Conduire l’analyse du paysage sonore

 

1. Préparation de l’analyse

J’ai donc retenu une dizaine de sons choisis en différents endroits de la ville dans le but de montrer la diversité sonore de l’espace urbain, reflet de l’organisation du paysage.

J’ai transmis la liste des sons à Célestine sous la forme de liens hypertextes[9]. Elle a alors pu les écouter et repérer les éléments porteurs de sens. L’écoute des sons enregistrés en stéréo lui a permis de s’immerger dans une perception plus proche de la réalité à travers un volume sonore. Elle a complété son travail par des recherches sur la ville de Montréal afin de contextualiser les informations fournies par les enregistrements. Cette recherche s’est faite dans différents ouvrages papiers mais surtout sur Internet, son ordinateur lui permettant une telle recherche. Une fois fait, elle a présenté son travail à ses camarades.

2. Présentation et analyse des sons enregistrés

L’analyse commence par une présentation de la ville de Montréal de façon globale. Célestine reprend alors les informations à l’aide de son transcripteur en braille. On écoute ensuite la première bande sonore. Chacun peut alors émettre un avis sur la puissance, la gêne éventuelle causée par l’intensité sonore. On repère ensuite les sons émis par les objets, les lieux, les personnes. On peut ranger ces sons dans deux catégories en distinguant les sons anthropiques et les sons naturels. Célestine complète ensuite cette approche par quelques explications en rapport avec les éléments abordés. Une fois les différents enregistrements écoutés, on aborde la dernière étape avec l’organisation du paysage. Le paysage étant urbain, l’organisation de la ville se construit selon le modèle centre périphérie. Visuellement, cette démarche se fait en regroupant les éléments en différents ensembles homogènes. Mais pour les sons, c’est difficile car on ne peut pas en avoir une perception d’ensemble.

3. L’organisation de l’espace géographique

Chaque enregistrement comporte des plusieurs sons qu’il faut multiplier par le nombre de points d’écoute. Aussi, les informations à percevoir et à mémoriser pour se construire une représentation mentale du paysage sonore sont-elles très nombreuses. Pour contourner cet obstacle, les sons retenus suivent en fait un trajet qui va du centre de la ville vers sa périphérie. La perception du paysage sonore de la ville se calque sur l’organisation de la ville. Ainsi, le centre est dynamique. On y trouve différentes activités dont certaines de loisirs avec des fontaines et des cris d’enfants. Mais l’ensemble est bruyant et les sons se trouvent être parfois agressif tels ces engins de chantiers cassant le sol dans des bruits stridents. La périphérie proche présente des axes de transports lourds, comme des chemins de fer, mais aussi plus calmes avec le fleuve Saint Laurent. On note également la présence d’usines du fait de la place disponible ainsi que la proximité  des axes de transports. Enfin, une périphérie plus lointaine, très calme dans laquelle les activités humaines disparaissent rapidement. Les bruits des machines sont progressivement remplacés par les sons de la nature.

Conclusion :

Le paysage urbain de la ville de Montréal a donc été analysé à travers différents enregistrements faits dans plusieurs parties de la ville. Chaque enregistrement a permis de définir les activités humaines et la présence d’une nature plus ou moins marquée. Les enregistrements on également fait apparaître le côté agressif ou alors très doux des sonorités selon les endroits.

L’étude des sons de la ville de Montréal a permis de faire ressortir l’organisation classique de la ville selon le modèle centre/périphérie. Pourtant, l’étude des sons ne permet qu’une perception limitée du paysage urbain. En effet, la certains éléments visuels n’ont pas d’équivalent sonore. Par exemple, un immeuble ne diffuse pas de son si ce n’est par réflexion sous la forme d’un écho. Le silence, ou l’absence de son dans ce cas là ne prouve rien. Ainsi, les immeubles, qui ne sont pas perceptibles sur les enregistrements, occupent-ils toute la photographie. L’analyse du paysage sonore ne remplace donc pas une analyse visuelle du même espace. Mais la combinaison des deux donne une perception plus réelle du paysage qui est perçu de façon plus globale et vivante qu’à travers une simple photographie.

Mais l’important se trouve aussi ailleurs car cette analyse d’un paysage sonore urbain s’est révélée très intéressante pour tout le monde. Célestine a pu réaliser un travail au même titre que ses camarades, en palliant son handicap. Pour les étudiants ce fut l’occasion de percevoir et de travailler une composante inhabituelle du paysage et de réaliser qu’un handicap est quelque chose de relatif. Nombreux étaient les étudiants fermant les yeux afin de se centrer sur les sons et donc d’entrer dans le monde vécu par Célestine au quotidien. Un monde sans image.

Bibliographie indicative

●      Brunet R. (dir.), Etats-Unis, Canada, In Géographie Universelle, Belin, Reclus, 1992, L’espace de l’urbanisation & Un Québec en révolution tranquille.

●      Montès Christian, « La ville, le bruit et le son, entre mesure policière et identités urbaines », Géocarrefour, Vol. 78/2, 2003, [En ligne], mis en ligne le 04 juin 2007. URL : http://geocarrefour.revues.org/168 .

●  Montès Christian : les paysages emblématiques des Etats-Unis. Café de géographie, Mulhouse, 2012. http://www.cafe-geo.net/rubrique.php3?id_rubrique=16

●      Semidor Catherine, « Le paysage sonore de la rue comme élément d'identité urbaine », Flux, 2006/4-2007/1 n° 66-67, p. 120-126.

●      Semidor Catherine, « Listening to a city with the soundwalk method », Acta Acustica United with Acustica, Vol. 92 (2006) 959-964

 

Sitographie indicative :

●      Blog :http://www.paperblog.fr/users/desartsonnants/

●      Octfalls, de RYOICHI KUROKAWA : http://homepage.mac.com/etrerk/octfalls.html

●      Le musée des sons disparus : http://savethesounds.info/

 

 

Carte sonographique de Montréal : http://www.montrealsoundmap.com/?lang=fr

Liste de lieux que j'ai retenu pour leur diversité sonore mais aussi leur représentativité de la ville et de ses activités. Les liens ouvrent directement des fenêtres avec le fichier sonore qui peut être lu :

 

Centre de la ville : un espace bruyant, diversifié.

Espace de loisir, récréatif.

Cascade dans la ville, bruits naturels :http://www.montrealsoundmap.com/view.php?id=161&lang=fr

Avec une fontaine :http://www.montrealsoundmap.com/view.php?id=160&lang=fr

Métro :http://www.montrealsoundmap.com/view.php?id=50&lang=fr

Gare centrale :http://www.montrealsoundmap.com/view.php?id=236&lang=fr

Excavateur : travaux dans le centre de la ville :http://www.montrealsoundmap.com/view.php?id=151&lang=fr

Constructions :http://www.montrealsoundmap.com/view.php?id=262&lang=fr

 

Périphérie de la ville : des activités industrielles et de transports. Des bruits qui vont en diminuant.

Transports :http://www.montrealsoundmap.com/view.php?id=122&lang=fr près canal

Train :http://www.montrealsoundmap.com/view.php?id=218&lang=fr

Usine :http://www.montrealsoundmap.com/view.php?id=177&lang=fr

Parc des écluses :http://www.montrealsoundmap.com/view.php?id=209&lang=fr

Lachine Canal Lock 5 :http://www.montrealsoundmap.com/view.php?id=38&lang=fr

Bord du Saint Laurent :http://www.montrealsoundmap.com/view.php?id=16&lang=fr

 

Périphérie lointaine : on est hors de la ville et l’homme n’occupe cet espace que ponctuellement.

Hors de la ville : des bruits plus calmes, feutrés :http://www.montrealsoundmap.com/view.php?id=33&lang=fr Canot à moteur



Vincent Jost, professeur de géographie à l'université de Haute Alsace


[1] Le prénom a été changé.
 

[2] Lire C. Montès sur les paysages emblématiques des Etats-Unis, 2012.

[3] Visiter le site du musée des sons disparus réveillera des souvenirs.

[4] Voir Octfalls, oeuvre multisensorielle de R. KUROKAWA.

[5] La combinaison de sons et de bruits forme une identité sonore que Murray Schaffer appelle marqueurs sonores.

[6] Lire à ce sujet les travaux de C. Semidore (2006 et 2007).

[7] On parle plus couramment de SoundMap

[8] Lien à la fin du texte.

[9] Liste à la fin du texte.



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