Des voyages virtuels en Histoire-Géographie avec Google Earth. Pourquoi ? Comment ?
Retour à la Lettre d'information géomatique n°4
Depuis 2007, le site voyages-virtuels.eu propose des parcours pédagogiques avec Google Earth pour élèves et enseignants de collège et de lycée. Une trentaine d'exercices ont été conçus, en Géographie, puis en Histoire et plus récemment en Histoire des Arts.
En quoi ces parcours peuvent-ils favoriser une mise en activité des élèves ? Comment les créer ? Quels sont les apports didactiques de l'outil ?
La genèse de ces voyages-virtuels
Les premiers parcours ont été conçus pour le LOG (Lycée Ouvert de Grenoble) qui repose sur un dispositif d'enseignement à distance.
Il s'agissait de mettre à disposition des élèves (sportifs de haut niveau, convalescents de longue durée) des ressources numériques pour un enseignement en non-présentiel.
Cela impliquait que la mise en place d’une activité avec GE - comme d'ailleurs avec d'autres outils TICE - soit préparée et balisée par une fiche de travail aux consignes précises, qui oriente les élèves et diminue le recours aux questions au prof… puisqu'il n'était pas là !
Cela s'apparente donc à un tutorat à distance avec une introduction qui présente le sujet et les consignes, puis une série d'étapes de difficulté volontairement inégale pour que chacun puisse avancer à son rythme, pour terminer sur une synthèse (questions ou paragraphe argumenté ou croquis), ce qui permet de mettre les élèves en autonomie guidée sur un logiciel « ludique » à la prise en main intuitive.
Par la suite, j'ai souhaité sortir du cadre à l'accès restreint de l'ENT et proposer ces ressources d'abord à mes élèves, puis aux collègues qui n'ont pas le temps ou les connaissances techniques pour réaliser de tels parcours pédagogiques.
J'ai donc créé mon propre site et regroupé ces travaux jusque-là dispersés, afin de leur donner une plus grande visibilité et de les offrir au plus grand nombre.
Quelles sont les étapes de la construction d’un voyage virtuel ?
1. Définition du thème : quel sujet ? quelle échelle ? quelle problématique ?
Les sujets ont été choisis :
- Au début, en fonction des programmes de lycée comme les premiers parcours sur San Francisco, Le voyage d'un porte-conteneurs, La puissance américaine, mais aussi en fonction des ressources disponibles dans GE, patchwork d'images disparates qui surreprésente les espaces urbains (et américains).
- Puis à la demande des IPR de Grenoble, en fonction des nouveaux programmes de collège applicables à partir de 2009 et qui mettent l'accent sur une utilisation plus intensive des TICE, j'ai élaboré quelques parcours pour la classe de 6ème : Phoenix, Sahara, paysage de faible occupation humaine, Egypte, puis de 5ème en Histoire (Jakob Fugger, Ibn Battuta). Ce qui permet, par ailleurs, de valider certains items du B2I.
- Parfois en fonction de l’actualité (exemple le parcours sur l'investiture d'Obama, sur le 40° anniversaire de mai 68, sur la crise alimentaire mondiale de 2008, sur la candidature d'Annecy aux Jeux Olympiques d'hiver 2018).
- En fonction de besoins manifestés par les collègues : une initiation ludique de niveau sixième avec un jeu de piste (le trésor du pirate).
A partir de ces choix, j'essaye de proposer des parcours sur des sujets à différentes échelles :
- locale : résidence fermée sur la Côte d'Azur, périurbanisation à Montpellier, contrastes urbains à Rio, métropoles américaines
- régionale : les espaces littoraux asiatiques
- nationale : la puissance américaine
- mondiale : le voyage d'un porte-conteneurs, la crise alimentaire mondiale de 2008
2. Récolte des données sur Internet
La partie la plus longue et chronophage du travail est la recherche documentaire. Il faut, dans la mesure du possible, disposer de données fiables et incontestables : sites Internet institutionnels de l’ONU (UNDP, FAO…), des Etats (INSEE, INED, Assemblée Nationale…), ou reconnus par la communauté enseignante (Histoire par l’image, cartes Rumsey, journaux et magazines de référence...), quelques articles complémentaires de Wikipédia ou tirés de sites personnels - mais validés par le professeur-concepteur - quand il n’a pas été possible de proposer des sites institutionnels. Pour les photographies, une collection personnelle importante et Clio-Photo, site mutualisé de photos libres de droit pour usage pédagogique permettent de traiter de nombreux thèmes des programmes.
Les cartes Rumsey pour étudier la traite transatlantique
Une veille technique est aussi nécessaire, certains sites, fichiers ou liens n'étant pas pérennes ! Par exemple le porte-conteneurs Chine-Europe a été ramené au bassin de radoub pour déjà 5 "contrôles techniques" et modifications de liens obsolètes ! La mise à jour est plus aisée quand on a la main sur son propre site que sur un site académique.
3. Mise en place du scénario pédagogique
La scénarisation et le questionnement permettent aux élèves une mise en activité, un travail autonome et une appropriation des savoirs et des méthodes. Cela permet aussi de lutter contre la tentation de certains de n’en rester qu’à une forme de contemplation - parfois de sidération - devant ces images. Elle contribue au maintien de l’attention jusqu’à la fin de l‘exercice.
A travers diverses étapes l’élève trace son itinéraire sur des documents et des sites répertoriés et validés par le professeur.
Le travail est organisé en dossiers et sous-dossiers qui correspondent à des paragraphes.
Il est aussi possible de présenter les items dans le désordre et de demander aux élèves de retrouver un ordre logique, élaborant ainsi un plan qui permette de classer ces différentes étapes.
Voir par exemple la version 2 de la puissance américaine sur le site académique de Grenoble :
http://www.ac-grenoble.fr/disciplines/hg/articles.php?lng=fr&pg=435
ou la version 2 de l'introduction au programme de Géographie de Seconde qui, volontairement, n'indique pas les thèmes, qui sont à retrouver par les élèves :
Chaque parcours est accompagné d'une fiche de travail qui restera la trace papier, une fois l'ordinateur éteint.
L'essentiel est de construire des usages qui favorisent l'apprentissage critique de l'image et de la carte et pour cela, multiplier les exercices qui décryptent ces mosaïques composites.
Identifier, décrire, expliquer restent quel que soit l'outil, les bases de l’enseignement géographique.
En Histoire, l'un des intérêts d'utiliser GE avec un scénario permet d'ancrer le récit historique dans une réalité géographique, de donner à voir un événement dans son contexte géolocalisé.
Une démarche hypothético-déductive sur Bénidorm
4. La construction de voyages virtuels
Dans les consignes liminaires, demander aux élèves de décocher la quasi totalité des options dans «Données géographiques» qui parasitent le travail à faire en classe ; ne garder selon les besoins que « Relief » et éventuellement « Légendes». N’utiliser que si nécessaire à la compréhension, les options « Bâtiments 3D » et Street View qui réduisent la vitesse de connexion, surtout sur un réseau d'établissement !
Aérer la mise en page : par des images, des espaces qui évitent de trop longs textes, fastidieux à lire à l'écran, surtout pour les collégiens.
Une mise en page aérée sur Gibraltar
Faire preuve de rigueur dans le choix du cadrage (vertical, oblique), de l'altitude, dans le placement, au plus près, des repères et pour cela ne pas hésiter à rechercher l'adresse précise de tel bâtiment sur Internet ou dans GE.
Privilégier la lisibilité : des polices, des couleurs, des icônes variées de façon à différencier ce qui est texte, complément d'information, questionnement.
Des choix graphiques pour une meilleure lisibilité
Prévoir une mise en activité des élèves : calculer la longueur d'une rue, la taille d'une exploitation, faire apparaître le réseau routier, vérifier des altitudes, utiliser le curseur de transparence pour faire apparaître un calque d'interprétation, faire correspondre une photo de paysage à un repère numéroté... les possibilités sont multiples.
Passer de la photo au croquis paysager (vallée du Todra, Maroc)
Éventuellement donner un titre "neutre" (Activité 1 ou Repère 2) pour laisser à l'élève le soin de l'observation et de la description.
Découverte des activités du port de Rotterdam
Réaliser au final une synthèse, texte et/ou croquis et/ou modéliser une structure. En somme, utiliser tous les atouts de GE en faisant manipuler cette interface ludique et attrayante (boussole, orientation, 3D, zoom…)
Quelques apports didactiques de l’utilisation de Google Earth en classe de géographie :
L‘emboîtement d’échelles d’un coup de zoom.
La base américaine de Diego Garcia en 2 repères
Faire apparaître, simplement en cochant une case, des bâtiments modélisés en 3 D mènera rapidement l'élève à une compréhension de la notion de CBD. Les autres composantes de la ville sont également visualisées, interrogées (réseau urbain, universités, banlieues...) et permettent d'aboutir à une définition du concept de métropole.
Autre exemple, grâce à la possibilité de calculer les distances, de circuler et de naviguer sur cette "carte électronique", l’imbrication des favelas dans le tissu urbain à Rio prend sens bien mieux que sur un croquis ou sur une image fixe.
Le CBD de Phoenix, Arizona
L’ajout progressif d’informations en cochant/décochant des cases, en jouant sur les superpositions de couches, celles de GE : voies de communication par exemple, ou celles construites par le professeur (voir l’exemple de Phoenix ci-dessous ou de la crue du Nil : http://www.voyages-virtuels.eu/voyages/college/index.html). Cette construction progressive d'un modèle - identique à l'ajout de transparents avec le rétroprojecteur - est un vrai support pour l'apprentissage de l'analyse spatiale.
La construction progressive du modèle de la ville américaine avec sa légende
Des parcours adaptables au niveau de la classe ou de l'élève, en décochant ou en supprimant certains repères sans altérer le document construit. Cela peut permettre de gérer l'hétérogénéité.
Le croisement d'informations provenant de documents de nature différente (cf le travail sur le désert du Sahara : carte des densités de population, diagramme climatique, photos de paysage, textes explicatifs, croquis paysager…). GE se prête bien à l’ouverture sur d’autres sources documentaires puisqu'on peut intégrer dans les repères et avec le questionnement une photo, un tableau de statistiques, une carte, un lien hypertexte vers une page d’un site, un calque qui se superpose à l'image du globe. Tout cela sur un seul et même support.
Tout un corpus documentaire dans la même fenêtre sans être obligé de jongler avec des pop-up, des ascenseurs, des logiciels multiples. Cela facilite le travail de l’élève.
Une carte, une image au sol viennent compléter la lecture de l'image-satellite, ici à Fès
Depuis la version 5, il est, en outre, possible de "remonter le temps" et de superposer-comparer des images satellites à différentes périodes (croissance de las Vegas, disparition progressive de la mer d’Aral…). Les dates des prises de vue apparaissent de manière plus immédiate qu’avant.
Deux autres fonctionnalités, réservées jusque là à la version payante GE Plus, sont désormais disponibles :
- importer des données GPS (pour une sortie scolaire par exemple)
- enregistrer une visite virtuelle dans GE et commentaire audio possible.
Enfin, le langage html est presque entièrement reconnu et utilisable dans les info-bulles. Ce ne sont plus seulement des liens hypertextes, des images ou des vidéos qui peuvent être intégrés, mais aussi des pages entières d'un site (à utiliser avec modération !), des calques animés, des animations Flash, des zones mappées cliquables, un QCM... GE devient un géo-navigateur à part (presque) entière !
Intégration d’une animation Flash sur l’extension urbaine au Caire
Conclusion
Sans négliger les écueils de GE : erreurs de localisation, publicité récente en mode "Recherche", zones vierges ou quasi-illisibles car de trop faible résolution, qui permettront au professeur de faire une lecture critique et aux élèves de ne pas confondre carte, image satellite, image aérienne, vue paysagère ! La plate-forme logicielle reste un outil assez simple à utiliser, qui plaît aux élèves, qui met à disposition des contenus numériques variés pour des pratiques de classe actives et qui permet à la fois une autre lecture de l'espace géographique et la création d’un récit historique.
Jean-Marc Kiener, Annecy, mars 2010