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Embarquer la pédagogie

Par Editeur général - Dernière modification 21/10/2008 15:55

1. La pédagogie embarquée

1.1. Définition

Nous appelons SPE, scénario de pédagogie embarquée, une représentation formalisée de l’organisation et du déroulement d’une situation d’apprentissage dans laquelle l’usage des fonctionnalités nomades des technologies numériques fait que l’enseignement-apprentissage s’exerce dans et hors les murs de la classe.

1.2. Choix du domaine d’investigation

Il part du constat suivant : les usages des technologies d’information et de communication, et plus spécifiquement celles que nous désignons comme technologies ubiquitaires ou technologies nomades, modifient sensiblement l’espace et le temps éducatifs (Bardi & Bérard, 2002). Ceci pour des raisons que nous souhaitons éclairer en regardant non seulement les possibilités offertes par les innovations technologiques mais également leurs modes d’appropriation en situation d’apprentissage.
Les environnements numériques et les outils nomades (assistant personnel, baladeur-enregistreur, clé USB, etc.) offrent des fonctionnalités caractéristiques liées à leur virtualité (mobilité, portabilité, ubiquité, réticularité), à leur multimodalité (texte, image, son), à leur progressive miniaturisation (technologies de poche), voire à leur invisibilité matérielle et à leur caractère pervasif.
L’évolution sensible des usages sociaux des technologies numériques par les acteurs de l’éducation -élèves, enseignants mais aussi parents et intervenants divers- n’est pas sans questionner les pratiques pédagogiques et les dispositifs éducatifs. Les discours sur les nouvelles générations d’élèves, les « new millenium learners », les « digital natives » (Prensky, 2001, Prensky, 2005, mediappro, 2006) comme les recommandations institutionnelles sur le développement de la culture numérique (digital competence) comme compétence clé (key competence) dans une société du savoir (UNESCO, 2005) laissent à imaginer des modifications sensibles dans la culture professionnelle des enseignants.

1.3. Contexte du questionnement

Un certain nombre d’articles sur le sujet postulent que la portabilité grandissante des technologies offre des possibilités de concilier travail en classe et travail personnel, apprentissage scolaire et apprentissage privé, apprentissage formel et apprentissage informel (Vavoula & al., 2004 ; Sharples, 2006 ; Dondi, 2007). Cependant nous savons bien que le rythme des innovations technologiques n’est pas celui des innovations pédagogiques. Les possibilités d’évolution des modes d’apprentissage annoncées concernent des apprenants autonomes capables de construire leurs parcours d’apprentissage en dehors du cadre traditionnel de la classe.
Notre propos est tourné vers les usages dans la formation initiale, dans l’enseignement secondaire. Même si les élèves sont de plus en plus familiarisés avec les technologies nomades, leur autonomie en terme d’apprentissage ne se décrète pas. Ce dossier s’intéresse aux usages des technologies qui répondent à la demande institutionnelle : accompagnement personnalisé des élèves, devoirs à la maison, suivi pendant les stages ou les périodes où l’élève est éloigné de l’école pour des raisons diverses (maladie, activité extra-scolaire, sport de haut niveau, pratique musicale, ..). Il s’agit non seulement d’imaginer ce que ces outils permettent en terme d’innovation pédagogique, mais de caractériser les changements qu’ils induisent pour le métier d’enseignant comme pour le métier d’élève.

1.4. Eléments de terminologie

Le choix du terme pédagogie embarquée fait référence à celui de informatique embarquée qui désigne des dispositifs dans lesquels l’informatique est omniprésente et quasi invisible de telle façon qu’elle permet aux activités -qui nécessitent de traiter de l’information- de s’exercer n’importe où et n’importe quand. On trouve des termes plus récents tels que informatique ubiquitaire, informatique pervasive pour évoquer ces mêmes potentialités d’usage des technologies informatiques dans la vie quotidienne, les activités professionnelles, la vie privée, les loisirs.

1.5. Conception de scénarios de pédagogie embarquée

Les technologies nomades, dès lors qu’elles offrent la possibilité d’enseigner et d’apprendre dans mais surtout hors des murs de la classe, dans et hors du temps scolaire, suscitent ou demandent de nouvelles scénarisations. Il s’agit d’imaginer des stratégies pédagogiques qui permettent de mettre en oeuvre les potentialités offertes par les réseaux (conceptions et usages d’informations, partage de ressources éducatives, activités de communication et de collaboration, co-construction de connaissances, …).
Ces activités questionnent l’institution par rapport aux concepts d’apprentissage formel et informel, d’apprentissage tout au long de la vie, de continuité de l’apprentissage.

2. La scénarisation pédagogique

2.1. Conception et usage de scénarios

La question des scénarios d’apprentissage est traitée selon différents points de vue et concerne diverses disciplines : informatique, sciences de l’éducation, didactique des disciplines, sciences cognitives, technologies éducatives, etc.
La question a d’abord mobilisé les acteurs impliqués dans la mise en œuvre de dispositifs à distance (Koper, 2001; Paquette, 2002). L’avènement des réseaux numériques a en outre questionné les pratiques pédagogiques traditionnelles, basées sur les unités de temps et de lieu (Bardi & Bérard, 2002), et interrogé les savoir-faire partagés des enseignants.
Aujourd’hui en raison de la généralisation - constatée et/ou espérée - de l’intégration d’environnements informatiques dans les systèmes éducatifs, la scénarisation s’inscrit comme un élément clé pour orchestrer la mise à disposition de ressources, la formalisation d’activités et la construction de parcours pour les apprenants.
Le concept de scénario, même s’il est encore relativement peu stabilisé (Paquette, 2002 ; Pernin & Godinet, 2006 ; Villiot-Leclercq, 2007), présuppose que la formalisation des pratiques, leur modélisation et leur possible instrumentation dans un dispositif informatisé sont une voie pour la conception et l’utilisation partagées de ressources pédagogiques.
Dans notre propos, le concept de scénario se réfère à l’idée que la conception se poursuit dans l’usage par et pour l’usager (Rabardel, 2005 ; Baron & al., 2007) ; un scénario est un objet réutilisable et évolutif ; on parlera ainsi de vivier de scénarios plus que de bases ou banques de scénarios (Trouche, 2007).
Les référents théoriques et questions qui suivent jalonnent l’ensemble du dossier SPE ; ils apportent des éléments de réflexion à la question de la scénarisation, en apportant le point de vue de l’enseignant qu’il soit concepteur de scénarios, utilisateur de scénarios, formateur ou simplement désireux d’analyser ses pratiques d’usage des technologies nomades.

2.2 Pourquoi scénariser ?

- S’agit-il de formaliser une pratique pour la faire évoluer, pour la mettre à disposition sur un site, un portail, une banque de scénarios, de façon à ce qu’elle soit réutilisée ?
- La scénarisation peut-elle être un outil au service de la formation des enseignants (présentation et partage de pratiques, pratiques réflexives, analyse de pratiques) ?
- La scénarisation peut-elle être vue comme une démarche au service de la mutualisation et la co-formation des acteurs (élèves, enseignants, acteurs du système éducatif) que suscite l’ouverture des réseaux et de portails institutionnels ?
- La scénarisation répond-elle à la nécessité de mettre à disposition des ressources pour accompagner l’apprentissage, c’est-à-dire les activités des élèves (remédiation, approfondissement, projet, travaux personnels), dans et hors l’espace et le temps scolaires ?
- Proposer un scénario permet-il d’embarquer la pédagogie hors des murs de la classe ? de faire essaimer une pratique ? (voir partie essaimage).

2.3 Peut-on scénariser ? Comment scénariser ?

Le projet se focalise sur le point de vue de l’enseignant du secondaire.
- Quels bénéfices, quels avantages, quels obstacles et quelles limites à la scénarisation ?
- Comment prendre en compte la complexité des situations d’enseignement-apprentissage ?
- S’agit-il de décrire, expliciter, formaliser une situation d’apprentissage, a priori (préparer une séance, une séquence, un projet pédagogique) et/ou a posteriori (retours d’expérience) ?
- De quels outils, de quels formalismes dispose-t-on pour scénariser ?

Les premières observations, dans l’enseignement secondaire, montrent que les méthodes et niveaux de scénarisation sont extrêmement variés et souvent composites (voir formalisation de scénarios).
La diversité des formalismes permet de mettre en lumière le concept de bricolage pédagogique.

2.4 La scénarisation face à la question du bricolage pédagogique

La description et la formalisation d’une pratique pédagogique, a priori comme a posteriori, posent la question de la complexité des situations pédagogiques comme celle de la professionnalité des enseignants, jusque-là peu décrite (un référentiel de compétences est disponible depuis décembre 2006 sur le site du ministère de l’éducation).
Lorsqu’il s’agit d’orchestrer les activités pédagogiques, d’aucuns évoquent le bricolage pédagogique, concept éclairé par Philippe Perrenoud dans un article qui souligne la difficulté que rencontre la recherche en éducation pour analyser le métier d’enseignant (Perrenoud, 1983). Il montre la complémentarité entre une nécessaire planification des activités et la compétence du maître à mobiliser des stratégies d’ajustement pour réaliser son projet de faire apprendre.

La planification des activités comme bricolage
 (Perrenoud, 1983)

/…/ la "planification" de l'action pédagogique. La phase de préparation n'est évidemment pas un moment de pure liberté, où l'enseignant choisirait en toute sérénité des objectifs partiels, des stratégies d'animation, du matériel, un fil conducteur. Celui qui n'a pas vécu ou observé de près l'emploi du temps d'un enseignant aura peine à imaginer la tension que représente l'animation d'un groupe d'enfants ou d'adolescents de 20 à 30 heures par semaine. La tension du maître est entretenue par deux préoccupations :
* ne pas perdre de temps, avancer dans un programme annuel chargé ;
* maintenir l'ordre assurer un fonctionnement du groupe favorable à la communication et au travail tout au long de l'année.
La planification des activités est essentielle dans cette double perspective. Certes un maître expérimenté peut " se permettre " de venir de temps en temps en classe sans préparation, et improviser une leçon, donner des exercices, voire laisser les élèves " s'occuper intelligemment ". Ce ne peut être une habitude. Comment les enseignants se préparent-ils, combien de temps y consacrent-ils, font-ils un plan détaillé ou un simple canevas, planifient-ils de jour en jour ou à plus long terme, quelle est la part écrite de la préparation ? Autant de questions sur lesquelles, en l'absence de recherches, on ne peut avoir que des idées vagues. Il me semble raisonnable d'admettre d'une part de grandes variations d'un maître à l'autre, d'autre part des liens étroits entre le type de préparation et le type de pédagogie. Dans une pédagogie traditionnelle, la préparation consistera à partir d'une grille horaire établie pour l'année et d'un plan d'études structuré (par l'institution, à défaut par le maître lui-même) :
* à choisir pour chaque unité horaire les notions à travailler et le mode de travail (leçons et/ou exercices) ; - à écrire la leçon magistrale, ou son fil conducteur ;
* à choisir les exercices et les fiches qui conviennent ;
* à planifier l'évaluation orale ou écrite correspondante.
Cette préparation laisse très peu d'ouverture à l'innovation. Si le maître peut s'appuyer sur des moyens d'enseignement et des méthodologies couvrant l'ensemble de son programme, la préparation consiste surtout à identifier les informations pertinentes et à s'en servir. On peut imaginer que ce type de préparation s'assortit d'une discipline assez stricte et d'une organisation des activités en classe suivant scrupuleusement le plan. Ce système est certainement, comme tout fonctionnement bureaucratique, le plus apte à protéger le maître de l'imprévu, que ce soit du côté des élèves ou du côté de la hiérarchie. Il garantit aussi un rapport tout à fait " évident ", allant de soi (taken for granted) à la culture scolaire.

En revanche, le maître qui travaille par projets, centres d'intérêts, enquêtes, activités-cadres, recherches en environnement, situations mathématiques, jeux, ateliers, travaux d'équipes a nécessairement non seulement d'autres attitudes, mais un système de travail plus ouvert.
Pour caractériser le mode de préparation correspondant, je le comparerai, à un bricolage.

Philippe Perrenoud fait lui-même référence au terme « bricolage » et au profil du « bricoleur » définis par Levi-Strauss (Lévi-Strauss, 1962, p. 27).


Bricolage, bricoler, bricoleur
(Levi-Strauss, 1962)

Une forme d'activité subsiste parmi nous qui, sur le plan technique, permet assez bien de concevoir ce que, sur le plan de la spéculation, put être une science que nous préférons appeler première plutôt que primitive : c'est celle communément désignée par le terme de bricolage. Dans son sens ancien, le verbe « bricoler » s'applique au jeu de balle et de billard, à la chasse et à l'équitation, mais toujours pour évoquer un mouvement incident: celui de la balle qui rebondit, du chien qui divague, du cheval qui s'écarte de la ligne droite pour éviter un obstacle. Et, de nos jours, le bricoleur reste celui qui œuvre de ses mains, en utilisant des moyens détournés par comparaison avec ceux de l'homme de l'art. /…/
Le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées ; mais, à la différence de l'ingénieur, il ne subordonne pas chacune d'elles à l'obtention de matières premières et d'outils conçus et procurés à la mesure de son projet: son univers instrumental est clos, et la règle de son jeu est de toujours s'arranger avec les « moyens du bord », c'est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d'outils et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composition de l'ensemble n'est pas en rapport avec le projet du moment, ni d'ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d'enrichir le stock, ou de l'entretenir avec les résidus de constructions et de destructions antérieures. L'ensemble des moyens du bricoleur n'est donc pas définissable par un projet (ce qui supposerait d'ailleurs, comme chez l'ingénieur, l'existence d'autant d'ensembles instrumentaux que de genres de projets, au moins en théorie) ; il se définit seulement par son instrumentalité, autrement dit, et pour employer le langage même du bricoleur, parce que les éléments sont recueillis ou conservés en vertu du principe que « ça peut toujours servir ». De tels éléments sont donc à demi particularisés : suffisamment pour que le bricoleur n'ait pas besoin de l'équipement et du savoir de tous les corps d'état, mais pas assez pour que chaque élément soit astreint à un emploi précis et déterminé. Chaque élément représente un ensemble de relations, à la fois concrètes et virtuelles ; ce sont des opérateurs, mais utilisables en vue d'opérations quelconques au sein d'un type.
/…/
l'exemple du bricoleur. Regardons-le à l'œuvre : excité par son projet, sa première démarche pratique est pourtant rétrospective il doit se retourner vers un ensemble déjà constitué, formé d'outils et de matériaux ; en faire, ou en refaire, l'inventaire enfin et surtout, engager avec lui une sorte de dialogue, pour répertorier, avant de choisir entre elles, les réponses possibles que l'ensemble peut offrir au problème qu'il lui pose. Tous ces objets hétéroclites qui constituent son trésor, il les interroge pour comprendre ce que chacun d'eux pourrait « signifier », contribuant ainsi à définir un ensemble à réaliser, mais qui ne différera finalement de l'ensemble instrumental que par la disposition interne des parties. Ce cube de chêne peut être cale pour remédier à l'insuffisance d'une planche de sapin, ou bien socle, ce qui permettrait de mettre en valeur le grain et le poli du vieux bois. Dans un cas il sera étendue, dans l'autre matière. Mais ces possibilités demeurent toujours limitées par l'histoire particulière de chaque pièce, et par ce qui subsiste en elle de prédéterminé, dû à l'usage originel pour lequel elle a été conçue, ou par les adaptations qu'elle a subies en vue d'autres emplois. /…/ les éléments que collectionne et utilise le bricoleur sont « précontraints ». D'autre part, la décision dépend de la possibilité de permuter un autre élément dans la fonction vacante, si bien que chaque choix entraînera une réorganisation complète de la structure, qui ne sera jamais telle que celle vaguement rêvée, ni que telle autre, qui aurait pu lui être préférée.
/…/ Sans jamais remplir son projet, le bricoleur y met toujours quelque chose de soi.


L’enseignant s’appuie sur sa capacité à ajuster sa planification initiale dès lors qu’il se trouve en situation d’exécuter le scénario prévu (prescrit).
On pourrait dire que le scénario pédagogique ne peut se construire que dans l’usage et ce de façon dynamique, par ajustements successifs en fonction des variables situationnelles (contexte de l’activité) et des variables interactionnelles (en particulier ce qui se passe dans les relations élèves/élèves, élèves/enseignants comme constitutif de l’apprentissage).

2.5 L’analyse de l’activité du métier d’enseignant

Concevoir un scénario c’est « concevoir un ensemble ordonné d’activités régies par des acteurs qui utilisent et produisent des ressources d’apprentissage » (Paquette, 2007).
Concevoir cet ensemble ordonné relève de la compétence de différents acteurs, et plus spécifiquement de celle des enseignants. L’analyse de l’activité enseignante semble particulièrement délicate, dès lors que la part des interactions est considérée comme centrale dans les apprentissages et la construction de la connaissance.
C’est le constat que font Pierre Pastré, Patrick Mayen et Gérard Vergnaud dans une note de synthèse, « La didactique professionnelle », publiée dans la Revue Française de Pédagogie (Pastré, 2005) et plus spécifiquement dans le paragraphe qui suit.

L’analyse de l’activité enseignante
(Pastré & al., 2005)

Ce n’est que récemment que la didactique professionnelle s’est employée à analyser l’activité d’enseignement. /…/ Beaucoup de recherches de terrain seront encore nécessaires pour expliciter ce que la didactique professionnelle peut apporter de spécifique dans l’analyse de l’activité enseignante. Voici ce que nous pouvons avancer actuellement : comme pour les autres domaines, notre objectif est de nous centrer sur l’activité, c’est-à-dire dans le cas présent sur l’activité de coopération-communication entre un enseignant et ses élèves. On sait que l’activité d’un enseignant ne se réduit pas à cela. Mais c’est sans doute un point central. D’une part, c’est une activité qui s’inscrit pleinement dans le cadre des activités de relation entre humains. On y retrouve les trois composantes mentionnées plus haut : un objet «technique», généralement un savoir; un objet d’usage, qui correspond au processus d’apprentissage des élèves quant à ce savoir; des formes conversationnelles admises dans le site, ici dans une école. D’autre part, l’activité enseignante possède ses caractéristiques propres qu’il va falloir identifier.
Le métier d’enseignant représente une activité particulièrement difficile à analyser : la place des savoirs à transmettre y occupe une place importante et en même temps c’est un métier très empirique, où la tâche prescrite reste très générale et où beaucoup de compétences mobilisées sont acquises sur le tas. La part de la parole dans l’activité est considérable : d’où le recours aux concepts et méthodes de la pragmatique linguistique. Deux autres points viennent compliquer les choses: il s’agit d’une activité qui se réalise entre un humain et un groupe d’humains, ce qui veut dire que la transformation visée par l’activité porte conjointement sur le groupe classe et sur les individus qui le composent. Enfin l’activité enseignante porte à la fois sur le court terme, la gestion d’une heure de cours par exemple, et sur le long terme : l’assimilation d’un savoir par des élèves demande à être évaluée sur un trimestre, une année scolaire, l’ensemble d’un cycle.
Durand (1998) propose une entrée intéressante dans l’analyse : il observe que l’activité enseignante est à buts multiples, enchâssés les uns dans les autres. Le premier but que se donne un enseignant est d’avoir un minimum de calme dans sa classe (la discipline) de manière à pouvoir mettre les élèves au travail. Un deuxième but, sur-ordonné, consiste à provoquer des apprentissages. Enfin on peut envisager un troisième but, hiérarchiquement supérieur par rapport au précédent : induire du développement cognitif chez les élèves, ce qui sans doute donne sens aux autres buts subordonnés. Le problème, c’est que c’est le premier but (mettre au travail) qui sert généralement de régulateur de l’activité, alors que les buts de niveau supérieur, tout en donnant son sens à l’activité, ne servent généralement pas à la réguler.
/…/
Au cours des siècles, les enseignants ont sélectionné, de façon très pragmatique, une série de tâches pour leur potentiel à porter une activité constructive : problèmes de maths, dictées, versions latines, dissertations ont fonctionné ainsi. En tant qu’activités productives, ce sont des exercices qui ne servent pas à grand-chose. Par contre, on pourrait assez facilement montrer qu’ils embrayent facilement sur des activités constructives. D’où leur capacité de résistance aux modes et leur propension à durer. Le but de l’enseignant est alors de viser un but d’apprentissage-développement par le truchement d’une tâche qui le suscite.


Les environnements numériques élargissent et transforment les activités d’apprentissage (Bardi & Bérard, 2002). L’usage des technologies d’information et de communication complexifie la conception du scénario d’apprentissage en particulier parce qu’elles modifient largement les unités de temps et d’espace éducatifs et rendent floue et instable la frontière entre les acquis scolaires et les acquis sociaux, le monde scolaire et le monde privé. L’usage des technologies nomades nécessite de penser les situations d’apprentissage en tenant compte de ces évolutions et de ces instabilités.
Dans certains cas, la conception de scénarios intégrant des outils mobiles peut s’appuyer sur des savoir-faire traditionnels comme sur des savoir-faire empruntés à la didactique d’une discipline. Le recours aux outils nomades est alors souvent présenté comme une voie d’innovation ; citons les nombreux exemples d’usages de baladodiffusion (voir le dossier du MEN, 2007), ou des clés USB.
Dans d’autres cas, l’irruption d’une technologie en situation scolaire, ou son adoption par les élèves, peut créer des situations de rupture et de refus (interdiction des téléphones portables, interdiction des ordinateurs portables personnels, suppression des accès wifi dans l’enceinte de l’établissement scolaire, etc.).

2.6 Conception et usage d’un scénario de pédagogie embarquée

La question des ajustements successifs nécessaires pour concevoir et/ou interpréter un scénario (le mettre en œuvre, le réutiliser) relève de la professionnalité de l’enseignant, de son savoir-faire. Pierre Rabardel (Rabardel, 2005) donne pour exemple l’anecdote relatée par R. Linhart dans l’Etabli (Linhart, 1978). Cette narration soulève la question du lien possible entre un modèle théorique d’activité (un scénario d’activité a priori) et la réalité situationnelle qui sert de contexte à chacune des interprétations du scénario.
Cette anecdote illustre l’écart sensible entre la vision abstraite portée par le modèle et la pratique dans laquelle le savoir faire est une forme de self-management de connaissances qui, de façon pragmatique, a imbriqué les éléments nécessaires à la réalisation du scénario (acteurs/activités / contexte). Le contexte d’usage du scénario fait largement intervenir les variables d’ajustement du modèle.

L'établi
(Linhart, 1978)

Le plus étonnant, c'est son établi… Un engin indéfinissable, fait de morceaux de ferraille et de tiges, de supports hétéroclites, d'étaux improvisés pour caler les pièces, avec des trous partout et une allure d'instabilité inquiétante. Ce n'est qu'une apparence. Jamais l'établi ne l'a trahi ni ne s'est effondré. Et, quand on le regarde travailler pendant un temps assez long, on comprend que toutes les apparentes imperfections de l'établi ont leur utilité : par cette fente, il peut glisser un instrument qui servira à caler une partie cachée ; par ce trou, il passera la tige d'une soudure difficile ; par cet espace vide, en dessous - qui rend l'ensemble si fragile d'apparence -, il pourra faire un complément de martelage sans avoir à retourner la portière déjà calée. Cet établi bricolé, il l'a confectionné lui-même, modifié, transformé, complété. Maintenant, il fait corps avec, il en connaît les ressources par cœur : deux tours de vis ici, trois tours d'écrou là, une cale remontée de deux crans, une inclinaison rectifiée de quelques degrés, et la portière se présente exactement comme il faut pour qu'il puisse souder, polir, limer, marteler, à l'endroit précis de la retouche, aussi excentrique et difficile d'accès qu'elle puisse être - par-dessus, par-dessous, de côté, aux angles, en biais, dans l'intérieur d'une courbe, à l'extrémité d'un rebord. Il s'appelle Demarcy, ce retoucheur. Il a plusieurs qualifications, en tôlerie et en soudure. C'est un professionnel -P. 1, je crois, ou quelque chose comme ça. A l'atelier de soudure, il est le seul professionnel en fabrication. (Dans les autres ateliers, il y a quelques professionnels en fabrication, le plus souvent sur machines. Mais la plupart des professionnels de l'usine sont à l'outillage et à l'entretien). Son âge, sa qualification, son expérience, tout cela fait qu'il jouit d'un certain respect. /…/ En général, s'il a un problème -un instrument qui se casse, une matière qui vient à manquer-, il le résout lui-même : il répare l'outil, ou part s'approvisionner au magasin, ou bricole son établi de façon à inventer une méthode inédite. Or, en cette deuxième quinzaine du mois de juillet, une menace rôde autour de Demarcy et de son établi. Le retoucheur est dans le colimateur de l'Organisation du travail, mais il ne le sait pas encore /…/ Il y a des changements, des mutations, des regroupements. Des modifications interviennent dans la production. /…/ Rationalisation. Pourquoi maintenant ? C'est le bon moment, ils ne font rien au hasard. /…/ Ils ont des sociologues, des psychologues, des études, des statistiques, des spécialistes de relations humaines, des gens qui font des sciences humaines, /…/

L’ensemble du travail exploratoire du projet SPE veut repérer les caractéristiques de la pédagogie embarquée en tenant compte du contexte, des types d’activités et des outils qui permettent que l’apprentissage s’exerce dans des espaces et temps multiples (anywhere, anytime).
Si les outils permettent d'embarquer la pédagogie, la mobilité des acteurs, élèves et enseignants, à qui on demande d'apprendre tout au long de la vie, voire de co-construire leurs connaissances, est un phénomène à prendre en compte dans la construction de scénarios SPE.

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