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Paysage sonore : une manière sensorielle de cartographier les lieux

por JĂ©rĂ´me Staub Ăšltima modificaciĂłn 10/07/2012 15:51

« Un art de l’espace.

[…] Découvrir l’espace, penser l’espace, rêver l’espace, créer l’espace… Une pédagogie nouvelle pour un espace vécu doit prendre en compte ces quatre exigences»

 Armand FrĂ©mont, La rĂ©gion, espace vĂ©cu

 

Imaginer prendre le tramway en pleine journĂ©e et, au moment de monter dans la rame, vous rendre compte qu’il y a lĂ  une classe d’une vingtaine d’enfants de 7 Ă  8 ans : l’apprĂ©hension monte, votre transport risque de ne pas ĂŞtre reposant. Et lĂ , surprise, le silence règne, seuls des jeux de regards et de sourires communiquent: mais qu’ont ces Ă©lèves ?

 Ils sont en train de recueillir des sons et se constituer une  palette de captations pour peindre leur ville ensuite ; ils sont passĂ©s hors des murs de l’école pour arpenter Roubaix dans toutes ses dimensions : historique, culturelle, institutionnelle, mobile... Ces Ă©lèves participent  ainsi Ă  la construction de leur apprentissage en gĂ©ographie sur les espaces urbains, avec le leur en rĂ©fĂ©rence.

Car comment permettre Ă  des Ă©lèves de primaire d’entrer dans la rĂ©flexion sur les espaces urbains quand ils n’ont pas encore le vĂ©cu nĂ©cessaire pour en structurer la complexitĂ©? Comment les engager dans une rĂ©flexion gĂ©ographique qui puisse les Ă©veiller Ă  une manière propre de faire avec l’espace ?

VoilĂ  l’enjeu qui a initiĂ© le projet de paysage sonore que nous avons menĂ© dans une classe de ce1/ce2 de l’école Michelet de Roubaix en 2010/2012. Ce projet a Ă©tĂ© soutenu par la municipalitĂ© de Roubaix, ville d’Art et Histoire, qui l’a financĂ© en tant que projet culturel. Il  s’est dĂ©roulĂ© en trois temps :

1. d’octobre Ă  fĂ©vrier : les captations sonores

2. de fĂ©vrier Ă  mars : la composition sonore

3. de mars Ă  juillet : la structuration des connaissances et la reprĂ©sentation cartographique/ restitution du projet

                Une classe Ă  double niveau, Ă©cartelĂ©e sur deux cycles implique une difficultĂ© supplĂ©mentaire : celle de devoir gĂ©rer les apprentissages d’élèves de ce1 qui ne sont pas encore officiellement dans la gĂ©ographie mais dans la structuration de l’espace familier, et d’élèves de ce2 qui entrent en gĂ©ographie et doivent structurer des connaissances approfondies sur les espaces urbains. L’entrĂ©e par le paysage offre ainsi une ouverture assez large pour intĂ©grer tous les Ă©lèves. Pourquoi alors ne pas se contenter d’images, d’un reportage photographique, de lectures documentaires ?

SaturĂ©s d’images dans leur vie quotidienne, les Ă©lèves peuvent avoir du mal Ă  la dĂ©construire, ne percevoir que la surface  et le choix de l’iconographie par le maĂ®tre peut parfois trop induire la construction des apprentissages. La dimension sonore s’est ainsi dĂ©voilĂ©e comme une manière sensorielle diffĂ©rente de s’approprier la ville.

Être à l’écoute des lieux pour construire un paysage a ainsi été une tentative de cartographie sensorielle de la ville de Roubaix où les élèves vivent.

 

Des sorties Ă  la structuration des connaissances

Le scĂ©nario pĂ©dagogique est celui d’un jeu de type « chasse aux trĂ©sors Â», qui entraĂ®ne rapidement les Ă©lèves. Il s’agit donc d’aller partout dans la ville Ă  la recherche de pĂ©pites sonores qui doivent ĂŞtre collectĂ©es (phase1) pour les amener Ă  un musicien-magicien qui permet d’en faire un trĂ©sor de composition musicale (phase 2).[1]

Cette collection de captations a menĂ© la classe Ă  pratiquer l’expĂ©rience gĂ©ographique hors des murs de l’école, dans des sorties de diffĂ©rents types :

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D’une part, à la lecture de ce tableau, on se rend compte de la pluralité des apprentissages que l’entrée par le son permet de structurer, et de la richesse qui se dégage de la ville, dans toutes ses dimensions.

D’autre part, fort de sorties nombreuses, ce projet a permis de donner sens aux outils de la gĂ©ographie. En effet, Ă  chaque sortie, les Ă©lèves ont Ă©tĂ© placĂ©s dans leur rĂ´le d’acteurs spatiaux. Tout au long de cette chasse aux trĂ©sors, les Ă©lèves sont responsabilisĂ©s : ils doivent mener leur Ă©quipe dans les parcours ou sur les lieux Ă  visiter et le maĂ®tre, pour eux, ignore le chemin Ă  parcourir. Ils ont Ă  construire les dĂ©placements en Ă©tudiant le plan, avant comme pendant la sortie.

Enfin, la notion de ville est construite de manière exigeante, reprĂ©sentable par le conceptogramme suivant[2] qui arrive donc comme un produit de ces diverses sorties, infĂ©rĂ© Ă  partir des expĂ©riences de l’espace vĂ©cu et nĂ©cessaire pour les structurer : 

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C’est l’objet du troisième moment du projet que de reprendre et approfondir les connaissances  rĂ©vĂ©lĂ©es par l’expĂ©rience. On dĂ©plie ainsi dans des petits problèmes de recherches qui expliquent ce que l’on a observĂ© dans l’espace prĂ©sent : la structuration de la ville en quartier, l’origine et l’histoire des industries, la prĂ©sence du canal, les raisons de l’importance du commerce dans la ville, le dĂ©veloppement des transports, les diffĂ©rents secteurs d’activitĂ©s Ă©conomiques, le rĂ´le de la culture, la diversitĂ© humaine et sociale de la ville, la nature en ville… 

La mémoire constituée par les traces sonores collectées au fil des sorties a permis de structurer cette notion complexe de ville comme territoire approprié à l’issue du projet.

Des captations Ă  la composition sonore

Pour effectuer les captations, nous avons organisĂ© la chasse aux trĂ©sors autour de diffĂ©rents dispositifs. Au dĂ©part Ă©quipĂ©s de trois enregistreurs numĂ©riques et bĂ©nĂ©ficiant de la prĂ©sence d’un bon nombre de parents, nous avons Ă©tabli des Ă©quipes d’élèves composĂ©es de reporters (chargĂ©s de prendre des notes sur les lieux de captations), de photographes, de preneur de son et assistant son. Ainsi, chaque Ă©lève ayant un rĂ´le, le cadrage de la prise de son par le maĂ®tre ou le parent chef d’équipe est facilitĂ©, pendant que d’autres compĂ©tences sont travaillĂ©es par les autres. 

Toutefois, des problèmes techniques ont été rencontrés avec deux des enregistreurs, ce qui a conduit à modifier le dispositif. A chaque sortie, on a dès lors demandé aux élèves de faire la captation à tour de rôle.

Au retour des sorties, les captations ont fait l’objet d’une Ă©coute attentive, de manière Ă  dĂ©terminer ce qu’est un bon son ou un son polluĂ©, Ă©tape primordiale pour faire entendre aux Ă©lèves la difficultĂ© de ce travail !

Cette expĂ©rience de l’écoute rĂ©flexive a permis de construire en comprĂ©hension l’importance de la concentration et du respect du travail de captation car au dĂ©part, nombres de sons « polluĂ©s Â» par des bruits parasites, des paroles d’enfants inappropriĂ©es ont dĂ» ĂŞtre rejetĂ©s ! La responsabilisation de chacun Ă  tout moment du projet s’est donc installĂ©e naturellement Ă  partir de lĂ .

En fĂ©vrier, la rencontre s’est faite entre la classe et le « musicien-magicien Â». Les Ă©lèves ont menĂ© leur travail de composition en demi-classe sur cinq sĂ©ances (environ 30 min) avec Maxence Ciekawy, avec qui nous avions convenu de travailler sur un logiciel libre et gratuit, Audacity. Chaque sĂ©ance reprenait une voire deux sorties de captations. Un son a Ă©tĂ© attribuĂ© Ă  chaque enfant, qui se l’approprie en le nommant et choisit librement de le placer Ă  tel ou tel endroit de la sĂ©quence (l’écran de l’ordinateur commandĂ© par Maxence Ciekawy Ă©tait videoprojetĂ©). Avec des Ă©lèves si jeunes, il n’était pas concevable d’attribuer un ordinateur en binĂ´me de manière Ă  leur faire composer eux-mĂŞmes leur paysage sonore. Une telle Ĺ“uvre aurait nĂ©cessitĂ© davantage de moyens financiers et humains, et des compĂ©tences en TUIC difficiles pour des Ă©lèves de ce1/ce2.

Les Ă©lèves Ă©coutaient ensuite la sĂ©quence construite et la validaient.  

L’ensemble a donc produit deux paysages sonores composés par les élèves, laissés libres dans leur création. Maxence Ciekawy a effectué le montage et le mixage en respectant les choix et les décisions des élèves dans leur manière de spatialiser leur ville par le son. Les transitions entre chaque séquence étaient constituées par les captations faites dans les transports (bus, métro, tramway, marche à pied).

 

De l’expérience à la représentation


Retour sur l’expérience géographique et représentation cartographique

Ces espaces et leurs marqueurs sonores permettent d’en retracer le chemin et de garder dans une mémoire vive la complexité urbaine. Pour illustrer le disque qui a été produit (restitution de leur création), on a demandé aux élèves, au terme du projet, de dessiner la carte de leur ville, telle qu’ils la voyaient maintenant dans leur tête. Cette production a été libre et nous ne sommes nullement intervenus pour contrôler cette image.

On conclut de cette reprĂ©sentation cartographique plusieurs choses :

-certains élèves restent centrés sur un modèle en étoile dont le cœur est l’école, ne situant pas les lieux, dans une cartographie objective, malgré les observations de plans et cartes.

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-d’autres élèves structurent les espaces en les localisant dans des situations qui ne sont pas justes au plan objectif mais qui rendent compte d’une spatialisation décentrée par rapport à l’école et leur quartier remarquable pour des enfants de 7 à 8 ans
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-d’autres encore produisent une image qui se rapproche du plan :
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-d’autres enfin soulignent dans leur reprĂ©sentation la mobilitĂ© qui a Ă©tĂ© la leur durant l’ensemble du projet, en signalant particulièrement les modes de transports prĂ©sents dans leur ville[3] :
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Pour des élèves de ce1 et ce2, il semble que cette cartographie révèle des différences d’abstraction nettes, malgré la longue durée du projet et le nombre de sorties effectuées. Toutefois, aussi, elle montre que la majorité des élèves parvient à une vision de l’espace qui se décentre de leur espace du quotidien, devenant en quelque sorte plus objective et complexe.

De l’expérience géographique comme moyen d’estime de soi et des autres

 Ce projet de paysage sonore a permis aux Ă©lèves de dĂ©velopper de manière importante leur capacitĂ© d’écoute d’une part, leur prise de parole d’autre part.

Par la captation sonore, il a été notamment possible de donner la parole aux parents des élèves (voire des élèves eux-mêmes) issus de l’immigration et de donner ainsi une place pertinente à la géographie humaine et sociale en classe primaire.

Les différentes langues ainsi enregistrées ont donné lieu ensuite à la recherche sur la diversité des nationalités à Roubaix et les raisons de celles-ci. Donner parole et donner place dans le paysage sonore de Roubaix à ces familles a été un moment important et très valorisant du projet.

En ce sens, la captation des voix a donné une matière à cet espace de la géographie humaine et sociale incluse dans la ville.

Ce que cette expérience géographique a permis, c’est de développer un certain mode d’action sur la ville, de manière à montrer qu’un acteur spatial est un être doué d’une capacité de se mouvoir, de pouvoir et d’agir, ce qui est formateur pour des élèves de cet âge dans des quartiers réputés difficiles.[4]

 Ainsi, aller chercher les sons dans la ville, sortir du quartier et constater que c’est une chose parfois simple Ă  faire, pĂ©nĂ©trer dans des endroits spĂ©cialement ouverts parfois, avec ce goĂ»t de l’aventure extraordinaire (le standard de la ville, l’atelier du luthier, la rĂ©pĂ©tition des danseurs du CNN) et enfin crĂ©er librement leur composition Ă  partir des pĂ©pites sonores de la ville : tout cela a dĂ©veloppĂ© l’estime et l’intĂ©gration de soi comme acteur spatial par la connaissance et l’écoute de l’endroit oĂą  vivent les Ă©lèves, ce dont tĂ©moignent les titres donnĂ©s Ă  leur composition :

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Maud Verherve, professeure des Ă©coles, Roubaix (59) et doctorante en GĂ©ographie.



[1] Le travail s’est fait en partenariat avec l’association roubaisienne A.R.A. (Autour des Rythmes Actuels) et l’artiste Maxence Ciekawy. Passé par les Beaux-arts, il a troqué sa palette de couleurs pour peindre avec les sons.

[2] Nous reprenons ici le conceptogramme de la ville tel que le présentent André Janson, Bernard Malczyk, Xavier Leroux dans Géographie A Vivre-CE2, manuel d’enseignement de la géographie à l’école primaire, édition Accès, 2011.

[3] La dernière représentation est l’image d’une élève qui s’est inspirée d’une carte cadastrale que les SIG de la ville nous ont offerte.

[4] On pense ici aux expériences d’empowerment qui sont menés dans les villes aux quartiers en difficulté.


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