Retour sur les frontières et Google Earth
Retour à la lettre d'information géomatique n°4
Dans la lettre d'information géomatique n°3, les problèmes de frontières dans les outils cartographiques de Google avaient été abordés au travers de deux exemples assez caractéristiques. Régulièrement, de manière plus ou moins visible, de "petites erreurs" sont révélées dans l'espace public avec plus ou moins de virulence, avec plus ou moins d'arrière-pensées politiques. En voici à nouveau des exemples, à travers deux cas différents, qui viennent grossir les rangs d'une typologie à peine esquissée des problèmes cartographiques de Google.
La frontière entre la Chine et le Vietnam, une "erreur" de Google ?
Le 20 mars 2010, le porte-parole du ministère des affaires étrangères vietnamien Nguyen Phuong Nga s'est plaint d'une cartographie approximative de Google à propos de ses frontières avec la Chine. L'histoire récente de ces espaces complexes est assez troublée : les deux pays partagent des frontières terrestres sur 1300 kilomètres . La ligne frontalière terrestre ne semble pas poser de problèmes particuliers, puisqu'elle a été réglée d'un commun accord lors d'un traité signé le 30 décembre 1999 et mis en application le 6 juillet 2000. Pourtant, en 2002, des rumeurs persistantes d'accords secrets entre les deux gouvernements ont jeté le discrédit sur ce partage frontalier. Pourquoi ? Les autorités d'Hanoi ont gardé secret l'accord de 1999 jusqu'à à sa publication et sa mise en œuvre en 2000. S'appuyant sur les anciens tracés datant de la colonisation française, les dissidents au régime et autres opposants au sein même du parti communiste dominant, ont montré une perte importante de territoires au profit de la Chine, autour de 4 à 5 kilomètres environ, le long des 1300 kilomètres. Le scandale avait été important puisque l'un des dirigeants communistes, artisan de cette "soumission" à Pékin, avait été gentiment remercié... Depuis, les tensions, autour de ces frontières se sont, semble-il, apaisées ; des bornes symboliques ont été posées ; un nouveau traité en 2009 a permis de clarifier la situation.
Comment expliquer la démarche vietnamienne vis-à -vis de Google ? Deux éléments sont à prendre en considération : le premier concerne la volonté explicite du gouvernement de Hanoi de clarifier l'état de ses frontières terrestres avec la Chine et de montrer un visage ferme à la suite du traité de 2009. Elle veut clore une décennie de tensions et de conflits .
Mais, si l'on observe les cartes de plus près, cet évènement est révélateur aussi des ambiguïtés de la "politique cartographique" de Google.
En effet, la déclaration vietnamienne fait état surtout d'une distorsion de la frontière entre sa représentation sur Google Earth (correcte et suivant la ligne établie en 2009) et sa version dans Google Maps qui, elle, reprend le traité de 1999.
Si l'on suit cette démarche, on va chercher sur Google earth, puis Google Maps, les principaux "écarts" indiqués par le gouvernement vietnamien. Pourtant, dans Google Maps la frontière est identique à celle proposée dans Google earth. On s'interroge alors sur la légitimité de la polémique lancée par le gouvernement d'Hanoi; une erreur de leur part ? Une erreur rectifiée depuis par Google ? Pas vraiment, en fait, les Vietnamiens s'appuient sur la version "chinoise" de Google Maps : effectivement, lorsque l'on procède à la recherche via Google maps China, on aboutit bien à une différence de quelques kilomètres de la frontière.
Version Google Maps France
Dans le numéro précédent de la lettre géomatique, on avait évoqué cette différence entre serveur local et serveur mondial, comme moyen d'apaisement des discordes entre états. Or, dans ce cas précis, c'est l'inverse qui se produit: les "erreurs" du serveur local chinois n'en sont pas: c'est juste la "vision chinoise de la frontière", résultant des traités de 1999, La démarche des autorités vietnamiennes est donc légitime. D'un point de vue diplomatique, elles ne peuvent y voir qu'une erreur de cartographie de la part de Google, erreur qu'il convient de rectifier...
Version Google Maps Chine
Au final, cet exemple montre comment une volonté d'unification cartographique interfère avec les solutions de stratégies locales de Google en matière de conflits politiques frontaliers.
Insolite : l'archipel des îles Zaffarines est devenu marocain... dans Google Earth
L'archipel des îles Zaffarines est constitué de trois îles (l'île du Congrès, l'île d'Élisabeth II et l'île du roi Francisco), situées au large des côtes marocaines. Elles sont administrées par l'Espagne depuis plus d'un siècle. Pourtant, lorsque l'on fait des recherches via Google Earth, ces îles apparaissent comme territoire marocain. Cet archipel de 52.5 hectares est revendiqué par les autorités marocaines. Pourtant, le caractère insolite de cette erreurde Google, c'est son mode de diffusion : il ne s'agit pas d'une déclaration officielle du gouvernement espagnol, mais bien d'un article d'un site espagnol (minutodigital.com), qui révèle l'affaire. Hormis quelques commentaires à la suite de l'article, on note aucune volonté de la part des gouvernements de rebondir sur l'information. Ce "non-incident diplomatique" montre l'impact des nouveaux médias dans ces questions de souveraineté. La politique des frontières n'étant plus l'apanage des gouvernants, elle se déplace sur le terrain médiatique, de manière totalement autonome. Néanmoins, cette autonomie reste relative et assujettie aux politiques, puisque dans ce cas précis, aucun gouvernement n'a tenté de donner de l'ampleur à l'information. Il apparaît donc qu'une impulsion politique reste nécessaire pour amplifier les "erreurs" cartographiques de Google, même si cette information provient de sources extérieures.
Sources
La frontière entre la Chine et le Vietnam, une "erreur" de Google ?
Deux articles de Vietnam.net:
Google maps asked to correct mistake
Google is considering revisions to its Vietman-ChIna border map (via Ogle earth)
Le scandale des frontières, article de l'Express par Sylvaine Pasquier (2002-2003)
Insolite : l'archipel des îles Zaffarines est devenu marocain... dans Google Earth
L'article du Minutodigita.com : Las Chafarinas de Marrueco ? Segun Google, si
Jérôme Staub, webmestre du site de veille géomatique (INRP)