Du globe virtuel à la production cartographique : utiliser Google Earth pour travailler les compétences liées à la cartographie en classe de seconde (avril 2011).
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Sans entrer dans une analyse épistémologique (Merle, 2011) et didactique trop fouillée, cette proposition a pour objectif de donner des éléments de réponse - nécessairement partiels - aux questions suivantes : comment faire utiliser le logiciel Google Earth à des élèves en vue de les faire progresser dans le domaine cartographique ? Quels sont les atouts d’une telle proposition pédagogique et quelles en sont les limites ?
La genèse du projet, entre approche technique et justification pédagogique
La « modernité » de Google Earth et les épreuves du baccalauréat
Les textes officiels insistent toujours plus sur la nécessité, pour les enseignants comme pour les élèves, d’utiliser les TICE. Or, les épreuves d’Histoire-Géographie du baccalauréat (comme les autres disciplines d’ailleurs) restent des épreuves « traditionnelles », avec feuilles et stylos. Par exemple, en géographie, c’est une carte réalisée à la main qui peut être évaluée le jour de l’épreuve. L’objectif de notre projet était donc de créer du lien entre la « modernité » affichée des TICE et la dimension « traditionnelle » des épreuves du baccalauréat.
Des compétences aux critères d’évaluation
C’est autour des notions de complétude, de pertinence, d’exactitude, de lisibilité et d’originalité que peuvent se penser les critères d’évaluation, en cartographie
comme dans d’autres domaines. A partir de ces notions, les critères
d’évaluation suivants peuvent émerger dans le cadre de la cartographie :
- exactitude de l’échelle
- exactitude de l’orientation
- complétude de la légende
- pertinence du figuré
- pertinence des couleurs
- lisibilité/soin de la légende (figurés, écriture, orthographe)
- exactitude des localisations
- lisibilité/soin de la carte
- pertinence des titres des parties
- originalité du titre de la carte
Les séances proposées
Avant le lancement du projet Google Earth, des séances de méthodologie sont effectuées afin de dégager avec les élèves les critères de réussite d’une carte et d’apprendre ou de revoir les règles sémiologiques de base (choix des figurés, couleurs…). Une fois ces compétences évaluées (évaluation diagnostique), le projet Google Earth peut débuter. Celui-ci se décompose en 4 séances successives. La démarche se veut progressive : la première séance est une séance de découverte et de prise en main du logiciel, puis le nombre de compétences travaillées s’accroît au fil des séances.
Le travail sur Google Earth prend la forme d’un itinéraire à suivre. Des repères sont placés par l’enseignant : quand l’élève clique sur le repère, des instructions et/ou questions apparaissent. L’élève doit alors remplir un fond de carte vierge (réalisé par l’enseignant sur Adobe Illustrator à partir d’une image Google Earth). Une punaise « vue de base » ou « vue de la carte » permet à l’élève d’avoir directement accès sur le logiciel à l’image ayant servi de support à la réalisation du fond de carte. Au terme de chaque séance, l’enseignant relève les cartes réalisées pour les corriger et ainsi faire le point sur les compétences acquises, en cours d’acquisition ou non acquises. Une évaluation notée est prévue lors de la dernière séance.
Concernant la construction « technique » d’un parcours Google Earth, il est possible de se référer à l’article de J-M Kiener dans la Lettre géomatique numéro 4 .
Voici les différentes séances proposées aux élèves :
- 1ère séance : « Le fleuve Colorado, un enjeu majeur », pour la séquence « L’eau, ressource essentielle »
- 2ème séance : « Katrina, une catastrophe uniquement naturelle ? », pour la séquence « Les espaces exposés aux risques majeurs »
- 3ème séance : « Un « centre-ville » des Suds : Rio de Janeiro », pour la séquence « Villes et développement durable »
- 4ème séance d’évaluation : « San Francisco, une métropole des Nords » et « Los Angeles, une métropole des Nords », pour la séquence «Villes et développement durable ».
Les différentes séances proposées ici sont par ailleurs consultables sur le site de J-M Kiener
Quelles conclusions tirer d’un tel projet ? En quoi Google Earth peut-il constituer un outil pertinent pour travailler les compétences liées à la cartographie ? Quelles en sont les limites ?
2. Une proposition pédagogique entre atouts et limites : approche critique
Une approche par les critères d’évaluation
Tout d’abord, une comparaison des tableaux d’évaluation réalisés au terme de chaque séance montre une certaine réussite du projet : indéniablement, des progrès ont été réalisés dans le domaine cartographique. Néanmoins, cette réussite doit être détaillée tant la pertinence de l’utilisation de Google Earth est en effet inégale selon les compétences visées.
- l’exactitude de l’échelleC’est un des principaux points forts du logiciel Google Earth. La labilité scalaire permise par le logiciel permet aux élèves d’appréhender plus concrètement la notion d’échelle, notamment en constatant à l’écran qu’en zoomant ou dézoomant ,un changement d’échelle s’opère. Si pour quelques élèves l’exactitude de l’échelle n’est pas encore maîtrisée, de nets progrès ont été réalisés pour la majorité des élèves.
- l’exactitude de l’orientationAu contraire de l’échelle, il n’est pas aisé de s’orienter sur Google Earth. En effet, l’orientation apparaît sous forme de coordonnées difficilement compréhensibles pour les élèves : c’est pourquoi, sur les différents fonds de carte, il a été choisi de fournir l’orientation. Ce choix s’explique par la volonté de ne pas surcharger les apprentissages des élèves : les séances ne durent qu’une heure (moins la mise en route) et, par ailleurs, l’orientation des cartes sera fournie le jour du baccalauréat, tout comme l’échelle.
- pertinence et originalité du titreLà encore, ce critère n’a pu être évalué car le titre des fonds de carte était fourni, sûrement à tort, comme cela sera expliqué plus loin.
- pertinence de la hiérarchieLa démarche montre ici aussi ses limites. En effet, nous avons fait le choix – peut-être trop prudent – de hiérarchiser nous même la légende. L’élève n’avait plus qu’à trouver les titres de la légende, c'est-à -dire à identifier les éléments légendés, puis à synthétiser ceux-ci pour élaborer un titre pertinent. Ce travail, loin d’être inutile, aurait pu être plus ambitieux, notamment en laissant les élèves réaliser eux-mêmes le classement et la hiérarchisation des informations.
- complétude de la légendeC’était un des points à retravailler aux vues de l’évaluation diagnostique : certains éléments représentés sur la carte n’étaient pas en légende et vice-versa. La démarche a cet avantage d’obliger les élèves de façon quasi automatique à toujours représenter sur la carte les éléments légendés. En outre, les élèves ont appris par le jeu de questions/consignes plus ou moins précises à caractériser les éléments cartographiés. Par exemple, plutôt que d’inscrire « port », les élèves ont appris à caractériser ce port, par exemple en notant qu’il est le troisième plus important port du monde.
- pertinence du figuréDans ce domaine, de nets progrès ont été réalisés malgré une difficulté qui aurait pu être problématique : la différence d’échelle entre les cartes à réaliser lors de l’exercice Google Earth (échelle urbaine) et l’échelle de la carte de l’évaluation diagnostique ou de la carte à venir pour le baccalauréat (échelle nationale). Cette variation scalaire a pu avoir son importance : par exemple, à l’échelle urbaine, un aéroport n’est plus nécessairement un figuré ponctuel étant donné son emprise au sol. Ceci a pu déstabiliser certains élèves au départ, mais très vite cette difficulté fut dépassée et a même pu permettre à certains de comprendre la logique du changement d’échelle : ce que je vois et/ou ce que je représente à une échelle donnée peut varier à une autre échelle.
- pertinence de la couleurDes progrès ont été réalisés aussi à ce niveau. Les élèves ont pu comprendre l’intérêt de réfléchir au choix des figurés et couleurs en amont, avant la réalisation cartographique, ceci dans l’objectif d’éviter des cartes où les couleurs superposées, les gommages successifs et autres ratures gâchent la lisibilité du travail réalisé.
- localisation exacte :C’est un des autres points forts du logiciel Google Earth. L’élève visualise ce qu’il représente, ce qui l’aide dans la localisation. L’élève apprend ainsi à se repérer, à se situer. Ceci permet aussi à certains élèves de faciliter le passage vers l’abstraction cartographique, de porter un sens aux relations entre signifiant (espace cartographique), signifié (espace géographique) et référent (espace terrestre).
- soin et lisibilitéCe critère d’évaluation échappe largement à l’utilisation ou non du logiciel Google Earth. Utiliser Google Earth peut même constituer un frein à des progrès dans ce domaine : des élèves d’ordinaire peu soigneux, poussés par la curiosité et la stimulation du logiciel, peuvent être tentés de bâcler leur réalisation cartographique par simple envie de connaitre ce que leur réserve le repère suivant. Il appartient alors à l’enseignant de se montrer exigeant à ce sujet, par exemple en attribuant une note assez élevée à ce critère d’évaluation.
Au final, utiliser Google Earth pour travailler les apprentissages liés à la cartographie peut se révéler intéressant et efficace, même s’il convient d’avoir en tête les limites du logiciel et les limites de sa propre démarche. Ceci étant, cette réussite est difficile à évaluer, car il est pour nous impossible de savoir si des résultats comparables, voire meilleurs, auraient pu être atteints sans l’utilisation de Google Earth et/ou en utilisant une autre démarche. Aussi, il convient de rappeler que cette démarche n’est pas celle qui sera demandée le jour du baccalauréat : en effet, l’exercice de cartographie au baccalauréat est davantage un exercice de mémorisation que le résultat d’une véritable réflexion ou démarche géographique.
Les atouts de Google Earth en dehors du champ cartographique
Outre la facilité du changement d’échelle permise par le logiciel, l’intérêt de Google Earth réside aussi dans sa dimension ludique, captivante, dépaysante, ce qui peut contribuer à renforcer les apprentissages et l’intérêt des élèves pour la discipline géographique. Sans entrer dans les détails, Google Earth propose également une combinaison de plusieurs perceptions spatiales, entre espace en 2D et en 3D, entre espace vu du sol (Street View, photos) et perception altitudinale (plus ou moins haute) du même espace… Ce jeu permanent sur un plan scalaire et perceptif constitue un atout non négligeable, tant pour l’exercice cartographique que pour le rapport des enfants à leur environnement. Pour l’enseignant, les séances sur Google Earth peuvent devenir un créneau privilégié pour la mise en place de pédagogies différenciées : il suffit de proposer des fonds de carte légèrement différents en fonction des compétences que chaque élève doit encore travailler.
Enfin, l’utilisation de Google Earth en classe peut se diffuser à la maison. Certains élèves ayant découvert le logiciel en classe l’ont ensuite installé chez eux. L’élève peut ainsi devenir « passeur de connaissances et de compétences », diffusant chez lui la culture géographique apprise en classe. Google Earth perd alors son unique dimension ludique (voir sa maison, son lieu de vacances…) et utilitariste (trouver sa route…), pour devenir outil et objet d’enseignement géographique. Si ce constat peut être bénéfique pour la discipline géographique, c’est l’Ecole toute entière qui en sort gagnante, preuve de son inscription au cœur des préoccupations et évolutions sociales/techniques modernes, favorisant par la même occasion l’image d’une Ecole dynamique.
Google Earth et les défis de son utilisation
Outres les limites décrites plus haut concernant l’utilisation de Google Earth dans le domaine cartographique, d’autres précautions sont à prendre lors de l’utilisation du logiciel à des fins pédagogiques.
Pour commencer, la pratique du terrain virtuel est morcelée : l’enseignant crée un itinéraire à suivre par la mise en place de repères et de questions liées à ces repères. En cela, l’approche du terrain est discontinue : le risque est de voir l’élève se rendre de lieux en lieux, sans véritable logique, sans vision d’ensemble. L’enseignant, comme il le ferait lors d’une sortie sur le terrain « réel » doit donc veiller à assurer une cohérence à l’ensemble du travail demandé. Le fond de carte à remplir permet de créer ce lien, même si d’autres types d’exercices seraient envisageables (paragraphe de synthèse…)
Aussi, Google Earth est un outil interactif, ce qui le rend d’autant plus plaisant à utiliser. Le risque est cependant de voir l’élève absorbé par cette interactivité, cherchant par exemple à se rendre virtuellement dans des espaces connus (lieux de vacances…) ou inconnus (lieux rêvés, de curiosité…), ceci au détriment des apprentissages. S. Genevois nuance ceci en écrivant : « vous aurez beau faire tourner la Terre dans tous les sens par les élèves, ils éprouveront peu de sensations à comparer des vrais univers 3D qu'ils manipulent dans les jeux vidéos ! ». L’utilisation strictement technique de Google Earth ne peut-être une fin en soi. Il convient en effet de donner des clés de lecture aux élèves pour qu’ils soient en mesure d’analyser ce qu’ils voient. S. Genevois écrit à ce sujet : « On peut se demander à quoi bon zoomer sur New York, si l'on ignore tout de la morphologie urbaine d'une ville américaine. L'image fascine, mais encore faut-il la décrypter. » (source : http://histgeo.discip.ac-caen.fr/gearth/pedagogie.htm#avis)
3. Quelques pistes de remédiation et autres prolongements possibles
Davantage d’autonomie aurait pu permettre un travail plus efficace des différentes compétences. Par exemple, il aurait pu être envisageable de ne donner que le fond de carte, sans que la légende ne soit déjà pré-hierarchisée et sans que le titre de la carte ne soit fourni. Nous ne l’avons pas fait par prudence, notamment parce que nous avons sous-estimé les capacités des élèves. Nous ne l’avons pas fait également par choix : en effet, nous avions décidé de placer les séances Google Earth au cœur des séquences dans lesquelles elles s’inscrivaient, entraînant de fait pour l’élève un certain manque de culture pour décrypter par lui seul – et sans documents annexes- les images satellites. L’utilisation du globe virtuel et la réalisation cartographique induite répondaient donc à cet enjeu à court terme : constituer une illustration du cours et/ou un moyen de renforcement d’un concept ou d’une démarche « difficile » vue en cours.
Ce choix a eu ses contreparties en termes d’autonomie. Si au contraire nous avions fait le choix de réaliser la séance Google Earth une fois la séquence terminée et évaluée, les élèves auraient été davantage armés pour décrypter les images satellites et prendre du recul par rapport au sujet, ce qui aurait augmenté leur autonomie potentielle. L’autonomie maximale pouvant être par exemple de faire en sorte que les élèves eux-mêmes proposent et créent un itinéraire Google Earth sur un sujet donné.
Conclusion
Le logiciel Google Earth peut constituer un outil intéressant pour travailler les compétences de la cartographie telle que demandée au lycée, notamment au baccalauréat. Les spécificités du logiciel (facilité du changement d’échelle, différentes vision de l’espace géographique…) sont autant d’atouts pour un tel travail. Néanmoins, il convient de ne pas survaloriser le globe virtuel : l’utilisation pédagogique de Google Earth est un outil complémentaire plus que substitutif aux outils et dispositifs pré-existants.
En outre, une telle utilisation de Google Earth n’est pas sans poser de nombreuses questions disciplinaires et épistémologiques (A.Merle,2011). Quelle place accorder au terrain dans nos démarches géographiques ? Le terrain « virtuel » peut-il remplacer le terrain « réel » ? Autant de questions qui trouvent des éléments de réponse dans notre travail de mémoire.
Prolongements bibliographiques
Calberac Y., 2007, "Le terrain des géographes, entre tradition et
légitimation du chercheur" in "Approches des terrains de recherches.
Actes du colloque organisé par Doc'Géo, Bordeaux, 28 mars 2006". Cahiers
ADES, n°1, mai 2007.
Caron C. et Roche S., 2001, « Vers une
typologie des représentations spatiales », in L’Espace Géographique,
Belin, n°1, pp 1 – 12.
Fontanabona J., 1999, « Mieux comprendre
comment un élève donne du sens aux cartes », in Cahiers de Géographie du
Québec « Géographie et Education », Université Laval de Québec, volume
43, n°120, pp 517 - 539.
Fontanabona J., Journot M., Thémines J-F.,
2002, « Production de croquis en classe de géographie et pratiques
innovantes », in L’information géographique, Armand Colin, volume 66,
Juin 2002, p 167 – 186.
Genevois S., 2008, Quand la géomatique rentre
en classe. Usages cartographiques et nouvelle éducation géographique
dans l’enseignement secondaire, thèse de doctorat, Université de
Saint-Etienne, 357p.
Merle A., 2011, « De Google Earth à l’exercice cartographique : enjeux épistémologiques et didactiques d’une proposition pédagogique », in HARDOUIN M. et LUCAS N., dir., 2010, La carte dans tous ses états, Le Manuscrit, coll. « Enseigner autrement », p. 181-198.
Merle A., à paraître 2011, « Une journée virtuelle sur un terrain virtuel avec une classe de seconde », Carnets de géographe, Rubrique Carnets de terrain, n°2. URL : http://www.carnetsdegeographes.org/
Auteur : Anthony Merle, professeur stagiaire d'Histoire-Géographie au Lycée Louis Armand à Chambéry (38)